Ces si discrets diplomates qui prennent la lumière sur Twitter

Analyse

Les tweets de l’ambassadeur sont toujours un succès. Loin de l’image du diplomate tout en retenue et discrétion, la « tweet diplomacy » se développe à grande échelle, avec des comptes toujours plus influents et une guerre informationnelle de plus en plus assumée.

Emmenée par Volodymyr Zelensky, virtuose des réseaux sociaux, la diplomatie ukrainienne est devenue le parangon de cette diplomatie du tweet, donnant une leçon de community management au monde entier. « C’est le rôle d’un diplomate, aujourd’hui, d’utiliser les médias et les réseaux sociaux, surtout quand on est le représentant d’un pays attaqué par un Etat qui mène aussi une guerre de désinformation », atteste Andrij Melnyk, ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, devenu une personnalité très influente outre-Rhin, avec ses 121.000 followers. Twitter est devenu le terrain d’« une guerre informationnelle de très haute intensité », observe Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po et experte en « tech policy ».


Le réseau social a été le théâtre d’invraisemblables clashs entre ambassades, comme ici entre diplomates allemands et russes en Afrique du Sud. De manière significative, au moment où RT et Spoutnik ont été débranchés en Europe, les comptes Twitter des ambassades russes sont devenus les nouveaux relais de la propagande du Kremlin. « La diplomatie russe est devenue à partir de début mars un canal d’information et de désinformation comme un autre, diffusant la narratif russe : la dénazification, l’Ukraine russe historique, les crimes de guerre ukrainiens », note Asma Mhalla.

Le rôle des ambassadeurs est apparu de manière criante lors de l’attaque de la maternité de Marioupol. Les comptes Twitter des représentations diplomatiques russes ont diffusé en chœur le narratif d’une supposée mise en scène par l’Ukraine. Une opération massive de désinformation, qui reprenait les codes du fact-checking à l’occidental, avec des bandeaux « fake » s’affichant sur des images pourtant bien réelles. Les ambassades sont devenues un média de propagande comme un autre, des sources d’information destinées à nourrir les comptes à sympathie pro-russe des différents pays occidentaux. Précisément le rôle qui était dévolu à RT et Spoutnik.

La « tweet diplomacy » ne se réduit pas bien sûr à ces opérations de basse propagande. A l’occasion de deux crises majeures – la prise de Kaboul par les Talibans et la guerre en Ukraine – les ambassadeurs français David Martinon et Etienne de Poncins ont montré un usage intensif de Twitter pour documenter les événements, avec un succès certain en terme d’audience.

Pendant deux semaines d’une tension extrême où l’ambassade de France en Afghanistan a exfiltré plusieurs centaines de personnes, David Martinon a posté de nombreuses vidéos et photos en direct sur les réseaux. Il publie aujourd’hui un récit haletant racontant « Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul » (Editions de l’Observatoire). Le texte paraîtra sans doute familier à ses followers, qui ont suivi en direct l’épopée de cette ambassade plongée dans un moment d’histoire.

Le live-tweet des événements a commencé le 15 août par cette singulière vidéo. L’ambassadeur s’y filme dans un selfie digne d’un film de guerre, quittant la « zone verte » de Kaboul. Un million de vues, des reprises médiatiques dans le monde entier – mais aussi des critiques sur la mise en scène. « C’était de la communication au sens premier, raconte-t-il. Il fallait que je communique à la fois avec Paris, mon équipe, les autorités militaires américaines mais aussi ma femme. A ce moment, personne ne sait où je suis. En temps de crise, les réseaux filaires n’existent plus, les radios ne fonctionnent que dans un périmètre donné. Dès que j’ai retrouvé de la connectivité à l’atterrissage de l’avion, j’ai tweeté cette vidéo parce que c’est immédiat, cela touche tout le monde et cela a valeur de preuve. »

Le lendemain, changement d’ambiance : David Martinon a remis la cravate et pose pour son Twitter avec les personnels de l’ambassade de France relocalisée dans l’aéroport de Kaboul. « Cette fois, cela relevait davantage de la communication diplomatique et politique, explique-t-il. Il s’agissait de faire taire un certain nombre de rumeurs malveillantes qui disait que l’Ambassadeur de France avait fui Kaboul ». Le pouvoir de la preuve visuelle face aux fake news.

Montrer la continuité de la diplomatie française est également un souci constant de l’ambassadeur en Ukraine, Etienne de Poncins, très actif sur Twitter depuis le début du conflit russo-ukrainien. Son premier tweet « de guerre » remonte au 24 février, date de l’entrée des troupes russes en Ukraine. Une photo banale des équipes au travail à l’ambassade de Kiev, assortie du numéro de la cellule de crise. Mais un succès peu banal pour un diplomate : le message a été retweeté plus de 1.000 fois. « Au début de la crise, le message subliminal (ou pas d’ailleurs) dans mes messages était : l’ambassade française est là, l’ambassade est à Kiev, l’ambassade travaille pour les Français mais aussi aux côtés des Ukrainiens dans la difficulté. Ce message, il fallait le marteler. J’ai posté des photos banales en soi, mais dans le contexte actuel, elles avaient une certaine signification ».

Forcé de quitter Kiev alors que les combats se rapprochaient dangereusement de la capitale, Etienne de Poncins a assuré la couverture de son arrivée à Lviv, terre d’accueil temporaire de la diplomatie française. A l’usage, l’ambassadeur s’est rendu compte de l’utilité de personnaliser sa communication sur les réseaux sociaux. « Les internautes veulent quelque chose d’incarné alors qu’il y aura toujours une certaine méfiance avec un compte institutionnel, considéré comme étant juste de la langue de bois. Quand j’ai pris mes fonctions, le compte de l’ambassade avait plus de followers que le mien. Avec la crise, par la force des choses, mon compte personnel a pris le dessus et celui de l’ambassade est désormais plus en relais. »

Avec les réseaux sociaux, les ambassadeurs sont placés sur un marché de l’attention ultra compétitif, en frontal face aux autres ambassades. « Il y avait à Kaboul une atmosphère de compétition et de communication entre les uns et les autres », raconte David Martinon. « Les Américains et les Britanniques disaient « On sort des centaines de personnes ». J’ai voulu montrer que les conditions étaient très difficiles mais que la France faisait aussi sa part du travail. » Quoi de mieux pour le prouver que cette vidéo filmée sur le vif, où une employée de la délégation de l’Union européenne lui lance : « Merci, vos gars ont été merveilleux ! Vive la France ! ». Un ambassadeur devrait-il filmer cela ? Le format est peu conventionnel mais sans aucun doute efficace dans le subtil jeu d’influence que se livrent les différents pays.

Pour Etienne de Poncins, les réseaux sociaux sont devenus « un pivot » de son travail : « C’est quelque chose sur lequel je travaille beaucoup, je réfléchis toujours en amont à mes messages. Twitter est à la fois indispensable et dangereux, il faut toujours être prudent et prendre garde aux répercussions. Je ne cherche pas à réagir à chaud et à rentrer dans les querelles du réseau, d’autant qu’il peut y avoir des provocations. » Bien peser ses mots, ne pas répondre aux provocations mais aussi donner chair à l’ambassadeur, montrer une part d’humanité et s’écarter du discours convenu des comptes officiels. « Twitter est un régime de liberté, mais à vos risques et périls », observe David Martinon. « Avant, nous étions davantage sur un régime d’autorisation préalable avant publication. Mais ce n’est pas viable si un ambassadeur doit demander à chaque fois l’autorisation avant de faire un tweet ».

Pris dans le tourbillon des événements, l’ambassadeur en Afghanistan s’est parfois affranchi des règles. C’est ainsi que cette photo emblématique n’aurait jamais dû être postée. « Dans l’avion du retour en France, j’ai tweeté une photo du commandant Mohamed Bida, qui était mon attaché de sécurité intérieur adjoint », se souvient David Martinon. « Je n’aurais pas dû la poster ! Pour des raisons de sécurité, on ne peut pas montrer les personnels de police de l’ambassade. Si je l’ai fait, c’était pour lui rendre hommage, son travail a été décisif au moment de l’évacuation, et parce qu’il était à une semaine de la retraite. J’ai quand même reçu un coup de fil, on m’a indiqué que la Direction générale de la police nationale n’avait pas apprécié. »

Au-delà de la communication à visée politique, Etienne de Poncins reconnaît une part de goût personnel dans son activité sur les réseaux. Une volonté de documenter l’Histoire en train de se faire. « Vivre cette crise en première ligne est quelque chose d’unique. Il peut m’arriver d’être au contact, de voir des choses particulières, je trouve que c’est utile de les partager ». A l’exemple de cette vidéo poignante de l’hymne ukrainien chanté à Lviv. C’est dans cette conjonction entre une appétence personnelle et la pertinence d’un message politique que les diplomates deviennent des twittos d’influence – et des relais précieux du Quai d’Orsay.

Mon Dieu, c’est la fin de la diplomatie !

Lord Palmerston, Premier ministre britannique, à la réception du premier télégramme dans les années 1860.

Loin de signer sa fin, la révolution technologique du télégraphe avait profondément changé la diplomatie. Il n’est pas interdit de penser que Twitter, et plus largement les réseaux sociaux, participent de ce même modèle.

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