Strava et l’ascension des réseaux de niche : vers une nouvelle ère du web social

Analyse

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Strava à travers « Strava Leaks« , une enquête Le Monde qui a révélé des failles de sécurité exposant les déplacements de personnalités politiques, comme Emmanuel Macron, via les activités sportives des gardes du corps. Au-delà de ces controverses, l’application de suivi sportif met en lumière un virage du web social : à l’image de Letterboxd pour le cinéma ou Goodreads pour la littérature, elle s’inscrit dans la montée des réseaux ultra-spécialisés. Avec 135 millions d’utilisateur·rice·s dans plus de 190 pays, Strava repose sur des dynamiques bien rodées – validation sociale, gamification, mise en scène de soi – et redessine les contours de la sociabilité en ligne.

Un outil de suivi devenu réseau incontournable des sportif·ves

D’abord dédiée aux cyclistes et aux coureur·euses, l’application fondée en 2009 par deux anciens étudiants d’Harvard, Michael Horvath et Mark Gainey, s’est étendue à de nombreux sports tout en gardant un ADN unique : un outil de tracking GPS couplé à une dimension sociale. Il est possible d’y partager ses activités, d’ajouter des photos et d’interagir grâce à des descriptions pré-écrites qui encouragent les échanges.

Qui veut des kudos ?

Dans l’univers ultra-concurrentiel de la course au tracking (Polar Flow, Runkeeper, Garmin Connect…), Strava se distingue par son approche communautaire. Elle offre une gamme d’interactions sociales, telles que les kudos (équivalents des « likes »), les commentaires permettant échanges et retours d’expérience, et la messagerie, idéale pour organiser des sorties collectives. Les défis et badges (le fameux PR) renforcent l’esprit de compétition, tandis que le « Strava Art » (GPS drawing) dévoile un potentiel créatif.

Les athlètes français Guillaume de Lustrac et Vincent Brémond, ont tracé les anneaux olympiques à vélo (2 196 km en 10 jours) pour les JO de Paris 2024.

Avec plus de 3 000 œuvres dans sa galerie, le compte Instagram @strav.art met en exergue les créations les plus impressionnantes des amateur·rice·s de Strava Art.

Cette mise en scène de la performance illustre la médiagénie de l’application : elle ne se contente pas d’archiver des exploits, mais les transforme en événements mémorables. La popularité de Strava réside également dans son intégration fluide dans d’autres réseaux sociaux, notamment Instagram, dont l’orientation visuelle favorise le partage de tracés sportifs sous forme de stories.

Sociabiliser en transpirant

Strava jouit aussi d’une popularité croissante auprès de la Gen Z : 59% ont rejoint des clubs de course à pied et 66 % déclarent avoir noué des amitiés via des groupes sportifs. Autre tendance, Strava se mue en « Tinder des sportif·ves ». Un·e athlète Gen Z sur cinq a déjà eu une relation amoureuse avec une personne rencontrée par ce biais. Une alternative, plus authentique, aux applications de rencontre classiques, où la relation se crée sur la base d’intérêts communs plutôt que d’une simple recherche de flirt.

“Si ce n’est pas sur Strava, ça n’existe pas !”

Comme tout réseau social, Strava comporte son lot de limites. Si 84 % des utilisateur·rice·s affirment que la plateforme les aide à lutter contre la solitude, elle peut aussi engendrer une obsession de la performance. Entre comparaison constante et besoin de validation sociale, effacement des échecs pour ne mettre en avant que les réussites… Cette quête de la perfection numérique mène à une image biaisée de la pratique sportive et à une labellisation de l’effort.

Les Strava Jockeys en Indonésie en sont des exemples frappants. Des jeunes sont payés pour enregistrer de fausses performances, avec des conséquences lourdes : des risques de bannissement et des amendes. Pour contrer ce phénomène, Strava a déployé une IA anti-triche, suspendant déjà 12 000 comptes en moins de 6 mois, afin de préserver l’intégrité des performances et la crédibilité de la plateforme.

Un eldorado pour les marques sportives

C’est parce que Strava n’est pas un équipementier sportif qu’elle attire une diversité de partenariats avec des marques, parfois concurrentes. Ces collaborations permettent aux entreprises de bénéficier d’une exposition naturelle et stratégique en accédant à une audience qualifiée. Elles se matérialisent par des challenges sponsorisés (comme le 5km X Brooks ou le 100km Trail X The North Face), des partenariats événementiels de grande envergure (par exemple, le Tour de France Femmes avec un contrat de 3 ans) et des intégrations technologiques avec des marques comme Garmin et Fitbit.

Avec cette approche mêlant activité connectée, innovation constante et communauté, Strava pourrait bien incarner l’avenir des plateformes sociales de niche, où l’engagement se construit autour d’une passion commune et ouvre la voie à des opportunités inédites pour les marques.

Auteur·ice

Elina Demesy

Consultante social media - Elina observe les cultures numériques à la loupe et s’intéresse aux signaux faibles qui annoncent les usages de demain.

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